Entretien avec Dr. Félicien Ilunga, premier médecin Congolais
Honoré à travers le monde sauf au Zaire
KAMPONDE,
ETIENNE TSHISEKEDI, BAPTEME
CCCE: Bonjour Dr. Ilunga
R:Bonjour mon fils.
CCCE: La Communauté Congolaise de Charlotte aux USA vous remercie pour cette opportunité que vous nous accordée.
R: C’est moi qui vous remercie. Je suis latté par votre geste de vouloir retracer mon parcours. C’est un honneur pour moi.
CCCE :Ca fait combien d’années
que vous êtes en France
R: C’est depuis ma retraite de l’Organisation mondiale de la santé que je suis ici en France. Environ une vingtaine d’années, si j’ai bonne mémoire.
CCCE: Bien que nous allons explorer votre parcours du Kasai aux Nations Unies, pouvez-vous résumer votre parcours en trente seconds?
R: Ah, ah, en 30 seconds, pas
évident mais je peux dire que la prestigieuse école Saint-Jean-
Berchmans de Kamponde m’a permis de me retrouver avec quelques amis à l’Université Lovanium et de la après mon doctorat en medicine, j’ai travaillé dans le gouvernement Kasaien et ensuite Congolais
Après quelques années j’ai rejoint l’Organisation mondiale de la Santé, L’OMS, une organisation que j’ai représentée dans plusieurs pays à travers le monde
R: Ah,ah, au fait juste après l’indépendance notre pays a connu des troubles politiques sécessionnistes. Ce qui explique ma présence dans le gouvernement Kasaien entre 1961 et 1962 comme ministre de la santé de l’Etat autonome du Sud-Kasai. On m’appelait déjà Excellence et j’avais une voiture avec fanion ministériel et tous les honneurs et privilèges qui vont avec.
CCCE: Vous avez mentionné l’école Berchmans de Kamponde, avez-vous rencontré Mr. Etienne Tshisekedi vu qu’il a fait la même école dans les années 40.
R: Oui Etienne Tshisekedi était et il reste un ami et frère, on a tous de bons souvenirs de Kamponde.
CCCE:Etes-vous resté en contact après le Kasai.
R:Evidemment oui vu qu’on a tous étudié à Lovanium. Nous avons garde de bonnes relations jusqu’à son dernier jour sur cette terre. Que son âme repose en paix.
CCCE: Au juste Dr, que veut dire le nom Ilunga.
R: oui, Ilunga c’est un mot qui vient du verbe Kulunga, qui veut dire allonger; comme tshilungalunga pour ceux qui connaissent ces légumes. Et aussi Bitokwela vient du verbe kutokwela, qui signifie aussi persévérer avec courage.
CCCE: Ca explique un peu votre parcours.
R: En quelque sorte oui.
CCCE: Avez-vous bonne mémoire de vos études primaires.
R :Enfin, vers 45/46 je suis allé à la mission catholique Katombe pour faire la quatrième et la cinquième primaires. Mission située à 35 kms de mon village. Je suis parti à l'inconnu.
Deux problèmes : le logement et la nourriture. Où loger et comment trouver à manger? Après de recherches de tshibelu ( le logement ) dans les villages environnants, une maman m'a enfin accepté chez elle avec comme condition de travailler au champ chaque matin.
Le travail consistait à débroussailler, à sarcler les plantes telles le manioc, patates douces maïs, etc.
A la pause de midi à 14h , je rodais autour des bâtiments de l'école
sous les arbres .
Je ramassais parfois des noix de palme . Après l'école le soir , je
retournais au village en courant. Là je trouvais le reste de nourriture
déjà froid que la famille m'a réservé à midi.
J'ai changé ainsi de familles d'accueil 4 ou 5 fois pendant ma scolarité à la Mission. C'est en 1946 que j'ai été enfin baptisé , j'étais enfin délivré du démon : de muena
diabulu, je devenais muena kristu.
En dépit de toutes ces souffrances, j'ai terminé mes études avec brio comme à Katanda. C'était en décembre 1946. L'Abbé Tshibangu Joseph, responsable de l'enseignement, m'a orienté vers une école inconnue jusque-là, mais très difficile, qui allait former des médecins...! Cette école était située à Mérode, à 65 kms de mon village.
CCCE: Parcours exceptionel déjà au niveau primaire et qu’en est-il du secondaire.
R: Enfin entre 45-54 j’ai fait la préparatoire à Mérode. Le niveau secondaire qui n'existait pas encore au Congo allait commencer par une année péparatoire. Cette préparation devait commencer à la Mission Catholique de Mérode, à environ 65 kms de mon village. Problème : Transports. Comment aller à Mérode à pieds ?! Décidé et têtu , j'ai quitté seul mon village pour l'aventure. J'ai traversé la rivière Lubilanji en pirogue . Au passage, j'ai même bu l'eau de la rivière que je croyait propre. Arrivé à Bakwanga (actuel Mbuji-Mayi ) ) vers 17 h, je me suis mis à pleurer, car je ne connaissais pas l'adresse de ma tante maternelle .Le hasard a voulu qu'une maman m'a conduit jusque chez la tanteJ'ai repris mon chemin vers Miabi en direction de Mérode.A Miabi je me
suis accroché à un camion qui partait dans la direction. Je considérais
cette fraude comme un péché que j'ai confessé à la Mission.
Une fois à la mission, j'ai trouvé plusieurs autres élèves venus de
toute la province du Kasaï. Au total 36.
Les élèves n'avaient pas le même niveau : la majorité avait le niveau de
la 5ème primaire.
D'autres avaient déjà fait la 6ème . Quelque-uns venaient de la 1ère
année du petit séminaire de Kabwe.
.A cause de l'absence de cuisine, le Père directeur faisait appel aux
femmes des environs de la Mission qui amenaient le bidia ( fufu ).
L'enseignement de base comprenait le français, les mathématiques, le latin, l'histoire universelle,la géographie, …..etc.. Dans l'ensemble , le programme était calqué sur celui du petit seminaire de Kabwe Une dicipline rigoureuse .Les élèves devaient se comporter comme ceux du petit seminaire: la messe et la prière étaient quotidiennes,interdiction d'avoir des contacts avec les filles, même pendant les vacances.Interdiction aussi de porter des chaussures. La surveillance était totale.
Malheur aux garçons qui avaient dépassé l'âge de la puberté ..Ceux qui commençaient à se gratter et lorgner les femmes furent renvoyés.... A la fin de l'année de préparation je suis sorti premier de la promotion, malgré mon niveau initial de la cinquième primaire. Barthélémy Dipumba était 2ème de classe.
Enfin à la mission de Kamponde, pour mes humanités Latines(entre 1948-1954)
Les bâtiments et les structures étaient prêts à accueillir les élèves .
L'ouverture du collège a eu lieu en 1948 avec les élèves rescapés de
Mérode et ceux de la deuxième promotion parmi lesquels TSHISEKEDI
Etienne.....
La scolarité du collège était programmé pour six ans : 6è,5è,4è, 3è,la
poésie et la rhétorique
Le programme du collège comprenait en gros le français, les
mathématiques, le latin, l'histoire, la géographie, la culture générale,
les sports, et même le flamand en dernière année.
La discipline était celle de Mérode : très stricte
Lever à 5h du matin, suivi de la messe quotidienne,
du petit déjeuner, de l'entrée en classe en rang. Tous, en uniforme fait
d'une culote kaki et d'une chemise manches courtes. Interdiction
stricte de porter des chaussures. A la messe, les pères observaient et
notaient les élèves qui ne communiaient pas..
L'approvisionnement alimentaire était difficile, au point que les élèves
ont été mis à contribution
en mettant en place un potager et des étangs pour la production de
poissons tilapias..
Je me rappelle que je me promenais avec un morceau de poisson salé dans
ma poche pour le repas suivant.
Parfois la situation était telle qu'on se contentait du sel et du pilipili pour accompagner le
nshima ( fufu ).
Nous étions 36 au départ, nous sommes sortis 6 . Trente élèves ont, soit échoué soit été renvoyés . La sélection était stricte .J'ai terminé ce cycle secondaire, en décembre 1953, premier de la classe, avec la plus grande distinction ( 1428,5 /1750 ).
CCCE: Je parie que cette grande distinction vous a grandement ouvert la porte pour L’Ovanium.
R: L’Ovanium, une nouvelle aventure. Ce fut le15 janvier 1954 que les
six bachéliers de Kamponde sont montés pour leur premier avion à
destination de Léopoldville ( Kinshasa ). Quelle émotion ?!
Le contingent était composé de : Ilunga Félicien, Kalanda Auguste,
Lutumba Pierre, Tshibangu André, Nkongolo Vincent et Dipumba Barthélémy.
A Léopoldville c'était encore une préparatoire pour l'Université.
Le contingent de Kamponde a rencontré les élèves des collèges similaires de Banza- Boma ( Bas-Congo ) , de Kiniati ( Bandundu ) , sans oublier ceux de la Fomulac de Kisantu ( Bas-Congo ). Au total 31 étudiants parmi lesquels Ndele Albert, Mabika Kalanda, Lebughe Pierre,..
Un seul bâtiment ( actuel Home 1 ) bien qu'en construction, pouvait déjà abriter une salle de classe, un restaurant et des chambres individuelles pour étudiants. La préparation consistait à renforcer et tester la capacité intellectuelle des étudiants.notamment en français et mathématiques ….L'enseignement était confié aux pères jésuites du Bas-Congo. Pour eux, il s'agissait de créer un centre universitaire,une sorte d'enseignement supérieur, mais pas une université proprement dite.
Il faut noter que c'est la première fois que je portais un pantalon et une cravate. Je me suis regardé dans un miroir avec curiosité. C'était beau .! A l'issue de cette année préparatoire, Un conflit opposa les Jésuites à l'Université de Louvain. Les premiers tenaient à la création d'un simple centre universitaire alors que Louvain insistait pour la création d'une université digne de ce nom..
Les Jésuites ayant perdu la bataille se sont rétirés , permettant ainsi la création de l'Université Lovanium, dont la direction a été confiée à un jeune prêtre et savant du nom de Gillon. Après des renvois très discutables et même suspects, les 31 étudiants admis, il n' en resta que 14.
Problème: comment ouvrir une université avec 14 étudiants ?! La solution a été trouvée par la venue des prêtres du Congo et du Rwanda – Burundi. Citons parmi eux l'abbé Bakole Martin ( futur archévêque de Kananga ), l'abbé Karikunzira du Burundi,etc. Enfin, l'ouverture de l'université a eu lieu en 1954 avec 31 étudiants.
Une selection a été opérée parmi les 14 rescapés de la pré-université. Six étudiants jugés meilleurs ont été orientés de facto vers les sciences :
Ilunga Félicien, Kamponde, Kasaï
Tshibamba Marcel, Kisantu, , Kasaï
Tshialy Stéphane, Kisantu, Katanga
Posho Joseph, Kisantu, Province-Orientale
Kabamba Nicolas, Kiniati, , Léopoldville
Lebughe Pierre Kisantu l'Equateur
Les autres étudiants furent orientés vers les sciences dites humaines ou littéraires: économie, sciences sociales, littératures, philosophie, administration …
La promotion de Médecine ne fournira que 2 médecins en 1961 : Ilunga Bitokwela et Tshibamba Marcel.
Le programme de la médecine comprenait deux étapes : 3 ans de
candidature en sciences naturelles et médicales, suivis de 3 années de
doctorat et 1 an de stage comme à Louvain..
L'enseignement était dispensé par des professeurs résidents belges; et
des professeurs consultants.
Notre promotion ayant perdu 4 étudiants au cours des années , il n'en
resta que deux étudiants en médecine: Tshibamba Marcel et Ilunga
Félicien.
On se trouvait à deux dans l'auditoire !!! Il devint impossible de s'absenter...!
Des professeurs venaient de Belgique rien que pour nous deux!!!
Vers la fin des études, un étudiant belge Hugues de Laveley est venu se joindre à nous.
C'est ainsi que nous avons terminé la médecine à trois en 1961 , un an
après l'indépendance
nationale., devant les autorités du pays et le représentant des Nations
Unies
La cérémonie de remise de diplômes a eu lieu avec grande pompe dans un
bâtiment de l'hôpital Général de Léopoldville ( Kinshasa ).
CCCE :Dr., je parie qu’une collation universitaire devant les membres des Nations Unies vous a directement ouvert les portes pour cette institution.
R : Pas vraiment mon fils, à notre époque travailler pour le Congo était un rêve et un sujet de fierté. Sortir du Congo n’était pas notre rêve. Le sens patriotique et nationaliste était trop éleve pour qu’on considère autre chose que le Congo. J’ai d’abord travaillé chez nous quelques années avant de partir.
CARRIERE PROFESSIONNELLE
CCCE :Qu’en est-il de votre carrière professionnelle nationale. Et nous parlerons de l’international après.
R : Très longue carrière médicale au service du pays:je me contenterais de la résumer, car ce sera tout un livre. Je vous le décrit par années, je vais vous lire une partie de mon resumé vu que je ne me souviens pas de toutes les dates.
CCCE : Pas de problème.
De 1961-1962 , Encore étudiant à l'Université,j'ai été nommé Ministre de la Santé de l'Etat Autonome du Sud-Kasai. On m'appelait déjà EXCELLENCE et j'avais une voiture avec fanion ministériel!! et tous les honneurs et privilèges...
1961 Sortie de l'Université
1961-1962 Médecin chef de Clinique, en service à l'Hôpital Général de Léopoldville.
1962-1965 - Médecin Provincial du Sud-Kasaï .avec rang de ministre provincial.
Fondateur de la Maternité de Bakwadianga,
Créateur de l'Ecole des Infirmières à Bakwanga ( Mbuji-Mayi ).
1966-1967 Médecin Inspecteur , Ville de Kinshasa.
1967-1972 Directeur National de la IV ème Direction du Ministère de la Santé, à Kinshasa
( Service des grandes endémies, Santé maternelle et infantile, hygiène du
Milieu ).
Directeur du Centre de Santé de Ndjili.
1973- 1975 Etudes de Santé Publique à l'Ecole de Santé Publique à Rennes, France.
1976-1978 Directeur National 2è Direction du Ministère de la Santé , Kinshasa.
1976-1978 Maître de Conférences à l'ISTM ( licence ) à l'Université Nationala de Kin
.1977 Victime d'une
attaque à mains armées dans ma maison de Binza,
j'ai pris la décision de quitter le pays
et de postuler à l'OMS.. Mon épart
autorisé par le Président Mobutu grâce à
l'intervention du Premier ministre de l’époque Mpinga Kasenda.
CCCE : C’est comme ça que commence votre carrière internationale.
R : Oui, l’insécurité et le system politique du pays à l’époque nous a
pousse à sortir. Et il fallait une permission présidentielle pour le
faire. Ce parcours professionnel va de 1978 à 1995. Je vais vous le lire
car je n’ai pas toutes ces dates en tête.
1978- 1981 Fonctionnaire au Bureau Régional de l'OMS, à Brazzaville, chargé du
développement des personnels de santé en Afrique.
1981-1985 Représentant Résident de l'OMS auprès du
Gouvernement du Tchad.
1985-1987 Représentant Résident de l'OMS auprès du Gouvernement du Cameroun et
l'Ile de Sainte-Hélène ( là où Napoléon a été incarcéré ).
1987-1992 Rappelé au Bureau Régional à Brazzaville, je suis chargé de – l'environnement-
santé buccodentaire-santé des travailleurs...
1990-1992 Médiateur de l'OMS ( Ombusman ) pour la Région africaine
1992-1995 Représentant de l'OMS auprès du Gouvernement de Madagascar.et de l'Ile
de la Réunion.
Décoration au grade d’ Officier de l'Ordre National Malgache
J’ai travaillé 17 ans au service du Congo de 61 à 78 et 17ans au service
de l’OMS de 78 à 1995.Après ma retraite j’ai décidé d’immigrer en
France à cause de troubles soci-politiques du Congo. Je me suis installé
à Annemasse, en Haute-Savoie le 16 Août 1995.
J’ai aussi été consultant de l’ONUSIDA (programme des Nations Unies pour
la lutte contre le sida) de 1999 à 2000 au Tchad, Cameroun, Gabon,
Congo et RDCongo mon pays. Sans mentionner les activités bénévoles(
médicales ) avec les toxicomanes de France.
CCCE : Une carrière remarquable. Qu’est-ce qui vous a amène à Paris
R : Juste une décision personnelle. Rien de plus. Je suis là depuis 2003.
Dommage que j'ai perdu tous mes camarades de classe diplômés du Collège (
Kalanda Mabika Auguste, Lutumba Pierre, Dipumba Barthélémy, Tshibangu
André,Kongolo Vincent ). et tous mes collègues médecins ( Dr Tshibamba
et Hugues de Laveley ).
A 84 ans, je tiens encore bon selon les verbes Kulunga et Kutokwela, et le tout dans une grande félicité. Je vous remercie.
C’est nous qui vous remercions.
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